Lacrymal’léluia

Après l’averse, la place revivait d’une fraîcheur nouvelle.

Le grésillement du gramophone, allié au grain de voix d’un jazz man semblant expier les fautes et les peines d’une existence.

Elle, dos à la grande fenêtre, sous un trop haut plafond.
Ses lèvres pulpeuses mordillaient sensuellement le bord d’une tasse, qu’elle serrait entre ses paumes tel un écrin.
Sa voix suave raisonnait contre les parois.
Elle avait pour habitude de parler en soufflant sur son thé.

Lointaine, sous l’éclaircie, laissant une frêle épaule dépasser d’un large pull, elle prenait l’allure d’un portrait d’Edward Hopper.

Dans l’atmosphère électrique de fin de journée, cette chanson hypnotique noyait ses pensées.

Que faire, à présent ?
Prier, pleurer…attendre le solstice d’été.

Passive rébellion

Pourquoi faudrait-il absolument avoir un objectif, être utile, apporter sa pierre à l’édifice…?

Il entamait ce travail de déconstruction, en cherchant à se libérer de toute injonction pour atteindre un certain niveau de dépouillement.
Il ne garderait que l’essence de sa personnalité.
S’en suivrait naturellement la traduction de ses valeurs profondes en actes et en attitude.

Ce faisant, il en vint à se méfier des attentes, d’une recherche de rentabilité des vies humaines, et de tout ce qui tend à rapprocher l’homme d’une fonction d’objet.

Élan vital


Les quelques grains de douceur d’une enfance volcanique s’envolent quand la voix d’une mère clâme des paroles irrévocables.

D’une présence ressentis, du silence des prières, il faudrait bâtir un empire.
Mais fatigue et lassitude s’imposent face à l’abstrait.

Nos tentatives, nos espoirs de vivre quelque chose d’intense et profond, semblent si dérisoires.

On signe des documents, on remplace ou accole des noms.

On partage des nuits, des dimanches, des secrets. Des années, des appartements.

Des corps s’emboîtent, des gênes fusionnent. Des enfants naissent et grandissent sous quatre yeux.

Mais soudain l’autre est un étranger.
Le souvenir des sommets d’une vie se trouve entaché de sa présence.

Ce qu’il y avait de plus fort est déjà passé, et manquait de sens.

L’ultime espoir est maintenant déchu.

Restent les amis, compagnons de toujours, mais seules les épreuves démontrent la vérité des liens…

La confiance en soi-même, comme un dernier refuge, craquelle jusqu’à l’achèvement.

Agir par devoir, passer en mode automatique. Jouer son rôle.

Ne plus parler, ne plus penser, ni ressentir.

Abandonner tout effort, en attendant d’être abattu.

Chercher au fond de soi un peu de force à réunir, pour une énième tentative.
Placer son espoir en une dernière aventure.
Jouer une dernière carte, quand la vie n’est désormais qu’un jeu sans importance.

Quand s’effondrent les grands objectifs, les seules certitudes volent en éclat.
Se noyer dans le rêve.
Devenir légère ou électrique.

A présent délestée de tout attachement matériel, jouer l’oiseau de passage réunissant brindilles pour un nid de saison.

La Terre fissure, la guerre menace.
Le tonnerre gronde sur l’été qui commence.
Le monde, de ma douleur se fait l’écho.

Noyée sous la souffrance, quand chaque minute devient plus insoutenable que la précédente, se jeter aux flammes pour fuir les fumées.

Et pourtant je te veux.

Sans demain, sans questions.
Sans espérances.

Me jeter, volontaire…, dans ce fleuve immense

Trouver encore en moi un désir de grandeur, quelque chose de plus vrai.

Et je te veux, trop vite.
De ta présence dépend mon sourire en péril.
Et tu me veux, trop tôt.
De nos instants dépendent nos frêles équilibres.

Le sort nous assemble à l’aube d’un cyclone.

Deux peaux, un rêve qui emporte, un air qui grimpe.

Unis pour attendre la fin des combats.

Apparu tel un météore au milieu d’un champ de ruine, tu es le calme après la bataille et avant la tempête.
Ta voix répend du baume sur mes plaies quotidiennes, pour ouvrir chaque soir un jour nouveau.

Reconstruire avec toi mon abris, même si les bombes doivent le raser.

Portée par l’envie de voir où mènera le sort, essayer libérée d’un trop grand enjeu.

Chacune de tes paroles tissent un long voile au fil d’espoir, de me retenir ou palier à ma chute.

Puisque c’est dans les gravas qu’on bâtit un avenir, car seul existe l’instant présent, remplacer par l’intuition les certitudes.

Placer sa confiance en un sentiment différent.

Pur, fort et beau.
Fluide, évident.

Former un foyer, affronter l’apocalypse.
Se retrancher et fuir le désordre ambiant.
Me laisser entraîner sans peurs dans de nouvelles épreuves.

Faire de ta voix mon repère en ces temps obscurs, et de ta main un guide en ces lieux.

Ces lieux détestés que sublime ta présence.

Auprès de toi je ne serais protégée, seulement accompagnée, et me jetterais ardament dans la vie.
Tu m’aideras, je le sais, à trouver mes propres forces.

Par ces brèses ravivées se manifeste la force de vie. Celle que l’on n’attrappe qu’au bord des précipices.

Ma seule attente est de poursuivre ces minutes surréalistes, et d’emprunter ce chemin happée par tes pas.

Improviser, inventer.
Trouver que faire de cette chance incroyable.

Mai 2022.

Trêve nocturne

Je crois qu’il n’est rien de plus cruel que la douceur d’une plage la nuit.

Elle vous ramène à votre enfance, à vos rêves d’absolu.
Le refrain des vagues dans un silence outrageux. Le reflet des feux sur l’eau.

Un passant vous croise, vous dit bonsoir, et les herbes frémissent sous l’air tardif, entre les grains de sable.
Les nuages se fondent à l’horizon, et la clarté du ciel emporte vos larmes retenues.

Le cri des mouettes semble moquer vos erreurs, la présence impérieuse des rochers souligne la pensée vous traversant.
Soudain, tout apparaît comme une évidence.
Le phare vous ramène à votre quête, vous éloigne de ces détours, aussi douloureux soit-il.
Une lame de couteau sous vos pieds ironise la sensation qui vous détruit.

Mais les vagues, dans leur sempiternel refrain, vous réconfortent.
Tout passe, toujours.

Evidence

Ses pensées distraites s’atardaient sur le col de sa chemise dépassant d’un large pull.

Elle le voyait sur la plage en hiver, démêler un cerf-volant.

Aucune des sages paroles prononcées ne parvenaient à capter son attention, tant sa voix et sa gestuelle répendaient son ora à l’ensemble de la salle.
Il était si vivant, et pourtant si serein, ne semblant plus traversé par aucun démon de l’existence.

Sa seule présence l’imbibait de joie, sa chaleur ruisselait dans tout son être. Si bien qu’elle en eût oublié de définir ces sentiments.
Elle qui aimait tant les mots. Elle pour qui leur maniement était une seconde nature.
Les avait-elle au moins remarqués, face à une telle évidence, dans la simplicité de ces moments ?
L’approcher et le voir suffisait à combler le vide abyssal en elle.

L’écouter parler, c’était comme retenir un rêve avant qu’il ne s’échappe.
Fuir les adieux, taire en elle-même ce fleuve ardant. Imprégner sa mémoire du grain de sa peau, ignorer l’imminence de son départ.
Comme si c’était impossible. Comme si elle fesait exception, ayant tant partagé avec lui.
Elle sentait faire l’objet d’une attention singulière.

De telles fatalités ne sont entendables à une jeune femme qui aime.

D’ailleurs, l’aimait-elle ? …

Certaines rencontres vont au-delà d’un pannel étriqué de vocabulaire, sensé contenir toute la complexité des relations humaines.
Avec lui elle vivrait quelque chose de si grand…
Il fut son cadeau, placé sur sa route au moment opportun, et son sillage elle suivrait longtemps en ces lieux.

A son contact, elle perçait un peu le secret de la vie. Il représentait un début de réponse aux questions qui la taraudaient.
Pourquoi lutter pour des combats perdus, comment trouver la joie sur un champ miné…Comment faire du mieux avec du rien.
Elle se serait jetée à corps perdu dans ce voyage, occupant n’importe quelle place, oubliant un orgeuil devenu inutile auprès de lui.
Désormais elle ne craindrait plus les tracas ni les épreuves de la vie pourvu qu’il la retrouve certains soirs et que les mains d’un tel homme se posent sur ses épaules.

Mais ce jour arriverait.
Elle ne pourrait que s’enfuir et regarder loin devant.

Ignorer un temps ce manque.
Être finalement rattrapée par les aveux du vide laissé.
Accueillir par la tristesse un dernier cadeau.
Tel un murmure à son oreille, un reste de sa chaleur la traversant, une douce question : N’était-ce pas cela, aimer ?

À sa colère un marteau de tribunal : elle ne pouvait que l’en estimer d’avantage.
Une étroite bande au collier dépassant de son pull, il avait choisi quelque chose de plus grand.

Escale inévitable

Voici un passage écrit sans l’idée d’une histoire en particulier,

à glisser dans un éventuel futur roman.

Qu’y avait-il dans ce regard ?

Brut et subtil. Direct mais caressant.
Soudain il lui semblait entendre des mots criés par un silence.
Heurtant la paroie de sa peau, irradiant jusqu’aux tréfonds de sa cage thoracique.

Par sa présence impérieuse à l’instant, celle de l’arbre encré au sol, il éveillait en elle un agacement nouveau.
Cet air de sage dans une posture faussement accessible, l’intensité d’un regard qui ne cède pas.

Il lui fallait ignorer, se concentrer sur le goût de sel d’une mèche de cheveux battant ses lèvres.
Mais comment se détourner du vieil arbre lorsqu’il décide de ployer ses branches en votre direction ?
Comment lutter contre le sens du vent ?
Il était son marin, son soldat.
Établissant en elle son abris de passage, jusqu’au prochain départ.
Elle savait n’être qu’un chapitre de sa prophétie, mais la fatalité l’avait placée là.

Le corps tourné vers elle, flottant dans sa marinière, il restait figé, calme. Serein.
Semblant attendre l’instant connu d’avance, où ses yeux finiraient par balayer les siens, pour les capturer tel un reptile sa proie.

Au loin, un tambour de batterie soulevait l’onde étouffée au creux de son dos.