Après l’averse, la place revivait d’une fraîcheur nouvelle.
Le grésillement du gramophone, allié au grain de voix d’un jazz man semblant expier les fautes et les peines d’une existence.
Elle, dos à la grande fenêtre, sous un trop haut plafond. Ses lèvres pulpeuses mordillaient sensuellement le bord d’une tasse, qu’elle serrait entre ses paumes tel un écrin. Sa voix suave raisonnait contre les parois. Elle avait pour habitude de parler en soufflant sur son thé.
Lointaine, sous l’éclaircie, laissant une frêle épaule dépasser d’un large pull, elle prenait l’allure d’un portrait d’Edward Hopper.
Dans l’atmosphère électrique de fin de journée, cette chanson hypnotique noyait ses pensées.
Que faire, à présent ? Prier, pleurer…attendre le solstice d’été.
J’ai su garder, tu vois, du fracas de l’enfance D’un sous-bois, une clairière, un souvenir d’innocence Un endroit où ma mère m’emmenait me ressourcer Où, grâce à des repères, je savais retracer La piste de mon chêne, choisit un beau dimanche
Après bien des tempêtes, il était toujours là Il avait vu passer tant de gens avant moi Songeant à ses racines étendues sous le sol Longuement je l’enlaçais avant ma semaine d’école Absorbant l’énergie, naïve parabole
Depuis ce temps, une myriade De saisons, arbre délaissé En esprit des bois, en dryade Cette sensation j’ai retrouvée
Refrain : Pierre ?… Feuille, ciseaux ! De fugues en détours à la chênaie d’hier Mon destin se défile au bout de ton fuseau Me voici de retour, des années en arrière Tes paroles me recouvrent d’un chaud et long tricot
Un même foulard qu’on a porté Des soirs de mission accomplie L’eau sacrée sur nos fronts versée Avant la veillée, à complies Nos mains, en prières assemblées
Fissurant la roche, d’un sourire Quand ses lignes, au vent, s’assouplissent Il est de ces hommes qu’on admire De ceux dont l’on voudrait un fils
Pierre ?… Feuille, ciseaux ! Des racines et des liens, sous le chêne se tissent Je suis l’as Des propos sibyllins, le sort s’accomplisse Je suis lasse Mais sa voix me retient au bord d’un précipice
J’aimerais tant être sa dryade Mais il est d’une forêt lointaine Où d’autres nymphes, une pléiade Dansent en ronde autour du chêne
Sans me jeter la première, Pierre Les jolis mots se font attendre Les jours me recouvrent de lierre Et je rêve tellement d’étendre Un tapis volant dans les airs
Pierre ?… Feuille, ciseaux ! La chaîne à ton poignet retient La première pierre d’un édifice Mais du feu sous le chêne brûle jusqu’à la cime Toutes les branches de craintes, mes flammes en haut déciment A la chaîne tes peurs d’hier
Mais lâche est souvent la chaîne Qui en reliant nos deux êtres Risquerait d’empêcher mon ent De danser quand l’air se déchaîne
Alors je veillerais, lointaine Hamadryade en lisière Te verrais planter, mon cher Une futaie dont tu seras fier
Faisons la queue, tu fais le guet Autour du passage secret Caché au creux d’un buisson
Mes vêtements pris dans les épines Me reviennent des mots et des sons L’été approche, on rembobine
Tessons, cadavres et capsules De bouteilles jonchaient le sol Dans l’air feutré d’un vestibule Des copies, des notes s’envolent
L’ancien lycée d’architecture Devint lieu de villégiature A de nombreux jeunes immatures
Un arbre trônait au milieu D’un préau à ciel ouvert Une présence telle, en ce lieu Comme s’il avait fermé hier
Dans les gradins, l’on fit théâtre En dégradant ce beau désastre En mineur, j’avais soufflé Mes dernières bougies l’an passé
D’un chariot qui s’embrase Bientôt une peur émane Juvéniles et désœuvrés A tendances pyromanes
Tendres délits d’âge tendre Funambule sur l’échelle bancale Tu m’as invitée à descendre Au sous-sol où tout bringuebale J’hésite, voyant ta main se tendre
Allez, viens, je te protège ! Non, même pas avec toi… Viens voir, en bas, y a un manège ! Non, je t’adore, mais j’irais pas.
Un lycée désaffecté Devenant terrain d’aventure Quelques plaies désinfectées Un ou deux points de suture
Nul ne verrait disparaître Ces quelques vestiges dérobés L’occasion, la découverte D’une passion pour les jeux de clés Et de penchants cleptomanes
Mais l’on devait tout partager Avec des inconnus croisés
Un photographe d’urbex Des amoureux en lieu sûr Chacun trouvait un prétexte Pour une virée nocturne
Peur inavouée d’y retourner Un groupe tenant conciliabule
-Danser un rock dans le salon. -Faire tourner des vinyles. -Découvrir l’ambiance d’un café jazz. -M’asseoir sous un arbre, adossée à lui. -Voir une expo. -Faire un pic-nic. -Entrer dans une chapelle et prier un instant. -S’écrire des cartes postales. -Se manquer. -Vivre des retrouvailles sur un quai de gare. -Prendre un train ensemble. -Longer la plage, de nuit. -Se baigner. -Camper sous une tente. -Faire des ombres chinoises. -Discuter avec des inconnus croisés. -Prendre un bain. -S’arrêter devant un spectacle de rue. -Lire dans ses pensées. -Voir un feu d’artifices. -Le réconforter. -Lire un même livre, ensemble. -Compter ses grains de beauté. -Partir avant son réveil. -Rouler de nuit, vitres ouvertes. -Aller à une messe de minuit. -Refaire le monde, parfois. -Se taire, souvent. -Nager dans une piscine la nuit. -Écrire en sa présence. -Voir ses lunettes sur mon chevet. -Le regarder vieillir, lui trouver un charme nouveau. -L’enlacer sous la pluie. -Avoir peur de le perdre. -Lui cacher ma jalousie. -Apprécier ses mystères. -Visiter un château. -Recevoir des amis. -Voir un thriller dans ses bras. -Soigner ses plaies. -Jouer à action ou vérité. -Le regarder conduire. -Chercher notre chemin à la lampe torche. -Se croiser dans les allées d’un vignoble. -Faire des crêpes. -Voir un concert de plein air -Faire une bataille de polochons. -Partir en week-end à l’improviste. -M’asseoir sur ses genoux. -Dire A plus tard. -Préparer un voyage. -Caresser un chat inconnu. -Jouer aux cartes sur la terrasse. -Le réchauffer. -Le chercher parmi la foule. -Ne plus rien regretter. -Lui cacher le nom de mon parfum. -S’inventer une histoire avant de dormir. -Deviner son passé. -L’accompagner sur les tombes de ses absents, que je n’aurais pas connus. -L’entendre parler d’une autre. -Partager une cigarette. -Lire les noms latins des plantes dans une jardinerie. -L’écouter respirer. -Cacher des mots dans ses livres. -Écrire ensemble des cartes postales.
Texte poétique dédié à ma grand-mère qui m’a pratiquement élevée, décédée peu après la naissance de mon fils.
Il traite plus largement de l’injonction au deuil.
J’irais dans ton jardin
Dis, tu me pardonnes ? Je n’irais pas sur ta tombe J’irais dans ton jardin
Sous la lumière où tu posais Dans les iris, tu apparaît
Un drame à retardement Je sais, je m’y attends
Si je n’ai pas dit aurevoir Déni du paradis
Pas d’adieu, merci, pardon Ni je t’en prie, reviens Dans la voix, par tes dons C’est toi que je deviens
Je vais donner la vie Que tu perds, à ce qu’on dit Et je retrouverais Sur son visage ton nez busqué Et c’est à toi que je voudrais L’annoncer en premier
Je ne taris pas d’éloges Mais ne pleurs que dans les loges
Pas d’adieu, merci, pardon Ni je t’en prie, reviens Dans la voix, par tes dons C’est toi que je deviens
Je t’en veux, quelquefois Tout s’envole et t’es pas là Mais je t’entends me faire la leçon Je téléphone et tu réponds
Dis, tu me pardonnes De ne pas fleurir ta tombe ? Les iris que t’aimais bien Me sont plus douces à ton jardin
Pas d’adieu, merci, pardon Ni je t’en prie, reviens Dans ma voix, par des sons Parfois tu me reviens